Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/136

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termos du règlement, ne doivent jamais sortir de la Bibliothèque, mais que l'on m’a permis par exception d’emporter durant ces jours fériés, où ils ne sont point nécessaires au service du public. Je viens de terminer ce long et pénible travail, et veux te consacrer les restes de cette soirée. Ma première lettre de la nouvelle année aura été pour toi, chère amie. Que de réflexions sur le passé et sur l’avenir n’a point éveillées chez, moi ce passage qui ne laisse personne indifférent ! L’année qui s’ouvre sera-t-elle plus heureuse ? Amènera-t-elle dans ma vie quelque révolution importante ? Avancera-t-elle notre commun bonheur ? Réjouissons-nous, chère amie, que l’obscurité qui nous cache l’avenir, nous permette l’espérance, et ne laisse pas une vue trop précise glacer nos efforts. J’éprouve un sentiment de tristesse en voyant ainsi les années s’accumuler ; elles sont déjà bien avancées pour moi, celles qu’on a coutume d’appeler les belles années. Chose singulière, chère amie, qu’une moitié de la vie doive être employée à acheter l’autre ! Et encore celle-ci, la possède-t-on ? Ah ! que la vie est triste, prise sous certains jours ! J’aurais bien besoin de toi, ma bonne Henriette, dans ces moments où elle me parait si défleurie. Car ma philosophie est triste, et le point de vue scientifique qui me commande ne fait guère encore que critiquer et détruire. Il construira sans doute plus tard ; mais en attendant nous aurons souffert.

J’aurais désiré attendre à t’écrire, chère amie,