Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/299

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de preuves de son amitié. Et toi, ô amie bien-aimée, toi sur qui se concentra en moi tout ce que Dieu a mis dans le cœur de l'homme pour la femme, tu m’argumentes ton amitié. O Henriette, Henriette, et moi je suis obligé de t’argumenter pour te dire que je ne crois pas que ton cœur soit un cœur de Mercure. Et tu restes sur ce thème trois pages durant, et du premier instant, tu n’as pas compris ma proposition sous sa forme exagérée, comme c’est un peu mon défaut. Eh bien  ! écoute : voici tout ce que j’ai voulu dire, crois-moi au moins cette fois : Mon opinion est que 1830 a été une époque défavorable pour entrer dans la vie intellectuelle et politique (et par là je n’entends pas l’acte d’avoir une opinion dans les choses intellectuelles ou politiques, mais pour parler net, le rôle d’écrivain et d’homme d’État) ; oh bien donc ! je crois que 1830 a été un mauvais moment pour débuter dans la carrière d’écrivain et d’homme d’État. Car on n’a eu sous les yeux dans les années suivantes rien de fort et d’original, mais seulement quelque chose de calme, pâle, peu élevé ; une petite vie, assez peu propre à agrandir, cette opinion, prise comme une pure vue critique, ne renfermerait même pas de blâme contre le régime de juillet ; car ce sont souvent les régimes calmes, réguliers, les régimes qui donnent sécurité et attirent l’esprit sur les petits soins et les petits intérêts, qui sont les moins favorables au grand développement intellectuel, qui ne végète puissamment que sous