Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/300

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l’orage (voir Athènes, Rome, les républiques italiennes, Dante, notre XVI° siècle). Mais au fond, cette assertion n’est pour moi qu’un fait, celui-ci : tous nos hommes éminents sont de la portée de 1815, nous ne voyons pas que celle de 1830 ait rien produit ; de là, la mort complète de notre littérature, et l’affaissement général des esprits qui se manifeste de toutes parts. Et ce sont des idées de cet ordre que tu as été tourner en reproches personnels ? Mais tout le contexte n’était-il pas assez clair ? Voici un tour plus sérieux peut-être, et sur lequel je vais m’expliquer avec plus de sang-froid, car la question de cœur et d’amitié est désormais mise de côté. Ton esprit, me diras-tu, a été formé sous ses influences : or je n’hésite pas à te dire que je te place dans cette sphère plus élevée où de hautes influences peuvent agir ; oui, je te place parmi les pensées qui comptent. Ma proposition s’appliquait donc à toi ? — Non, mon Henriette, non, mille fois non, et si tu me le permets je vais te faire l’analyse psychologique de ton attachement au régime de juillet. Tu as embrassé ce régime comme le représentant des idées libérales, comme le résultat naturel de la noble révolution qui renversa la Restauration. Tu n’as jamais envisagé ce régime que par son beau côté, en tant que représentant la liberté et l’ordre, critiquable certes même à ce point de vue sur une foule d’actes de détail (cela est inévitable de l’aveu de tous), mais enfin dessinant assez, bien sa ligue générale. Puis quand sont venues