Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/387

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mérite que d’avoir appartenu à un édifice ancien. Qu’un pavé vienne de Rome ou de Persépolis, ou le mettra dans un musée ; qu’un pan de mur, sans signification aucune, remonte à l’époque de Julien, on se gardera de le démolir, on l’entourera d’une balustrade, on lui donnera un factionnaire. Il y a en cela quelque chose de fort niais, quelque chose de la manie de l’antiquaire, qui attache du prix aux objets de sa collection, non parce qu’ils sont beaux ou instructifs, mais parce qu’ils sont antiques. Ce goût mesquin des antiquités est comme inévitable dans le Nord, où l’époque romaine n’a laissé que peu de monuments bien expressifs. Juge de mon émotion quand je me suis trouvé en face des Arènes, de la maison Carrée, des bains, du temple de Diane, dé la Tour Magne, édifices entiers dans leurs formes essentielles, oh l’antiquité semble encore vivre et respirer. Elle est là, c’est bien elle ; même différence qu’il y a entre le corps d’un saint ou d’un grand homme, et la singulière habitude du catholicisme moderne, de scier le corps de ses saints pour en faire des reliques. Qui jamais a été ému devant une poussière d’os qu’on dit avoir appartenue à tel ou tel ? Qui jamais a mieux compris l’antiquité devant une feuille de chapiteau ou un nez de statue que quelque touriste anglais aura bêtement cassé de son marteau ? Après avoir vu le Colisée, le croiras-tu ? je me demande si les arènes de Nîmes ne font pas éprouver l’impression plus immédiate d’un théâtre antique : le