Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/392

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Madone dans les lieux les plus vulgaires, dans les boutiques, les cafés, à tous les coins de rue, me plaît. Car enfin, c’est ainsi que ce peuple se formule la vie supérieure, et cela vaut mieux après tout que notre manière toute profane et vulgaire, et que notre peuple dénué de toute idée religieuse. Tout ce que j’ai vu m’inspire une plus grande aversion que jamais pour tout le troupeau noir ; mais cette aversion ne s’étend pas au système intellectuel de ce pays, à ses institutions, à ses mœurs. J’assistai le jour de la Toussaint à une prédication au Colisée : là tout était populaire, depuis le capucin qui, grimpé sur les planches, parcourait en gesticulant sa tribune, jusqu’à cette foule vaguement attentive, qui recevait cette parole comme un rythme donné, chacun vaquant cependant à ses affaires, les hommes dormant assis sur les fûts de colonnes, les mères allaitant leurs enfants sur les marches de la croix, les autres assis par terre, et imitant machinalement les gestes du prédicateur. J’imagine qu’une grande cérémonie à Saint-Pierre, où l’on n’entrerait qu’avec des billets de faveur, et où il n’y aurait que du beau monde, me ferait l’effet d’une ridicule mômerie. Telle est ici mon éternelle distinction. Partout où se trouve le souffle vrai du peuple, j’aime et je me complais. Le Panthéon d’Agrippa changé officiellement on église, ce portique incomparable chargé de tableaux d’indulgence me révolte. Car enfin en tant que Panthéon il me révélait une idée religieuse infiniment plus élevée,