Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/451

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bizarres imaginations de M. G., car il m’est impossible de comprendre comment les folies de cet homme seraient un motif pour retarder d’un jour ton retour parmi nous. Je t’ai retrouvée tout entière, ma bonne Henriette, dans les délicates inquiétudes que tu m’as communiquées relativement à notre future réunion ; mais ces inquiétudes, je ne puis les partager, et bien que je n’aie pas songé un seul moment à les prendre dans un sens où elles eussent été une défiance de mon cœur, peu s’en faut qu’elles ne m’aient affligé. Il est trop clair, ma chère amie, qu’il serait préférable que je ne fusse en rien nécessaire à ton existence matérielle : telle est l’incertitude de notre existence, telle est de nos jours le précaire de toutes les positions qui tiennent de près ou de savoir que le sort des personnes qui lui sont chères n’est pas trop directement soumis aux chances qu’il peut courir lui-même. Ainsi donc, quand tu me demandes si je n’aimerais pas à te voir une position entièrement indépendante des chances de ma fortune, je serais un mauvais frère si je ne répondais pas : Oui ; cela est trop clair pour qu’il soit besoin de le dire. Mais ce que je n’admets pas, c’est le tour par lequel tu semblais me présenter cette réflexion : « Je ne veux peser sur ton existence ni sous une forme ni sous une autre… Quand tu sauras que j’ai des ressources, tu seras plus à l’aise, etc. » Je te le répète, ma bien-aimée, je sais interpréter ces paroles selon