Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/69

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C’est à peu près comme si M. Cousin se présentait au concours de philosophie. Si je n’étais partie intéressée, je dirais que c’est de fort mauvais goût. Il est clair, chère amie, que ce nom m’écrasera. Car tu comprends bien que les considérations étrangères sont aussi puissantes dans ces sortes de concours que l’examen intrinsèque des ouvrages présentés, et ceci à vrai dire peut n’être pas une injustice. Or M. Pillon est un savant honorable et laborieux s’il en fut jamais. Une vie entière de travaux, signalée par la production des ouvrages les plus utiles, est assurément plus qu’il n’en faut pour décider la préférence dans un pareil concours, ajouté à cela ce que je sais d’ailleurs, que M. Pillon est très peu favorisé du côté de la fortune, et cette démarche seule en serait une preuve : car ce ne peut sans doute être l’honneur qu’il a recherché dans ce concours, après tant d’autres témoignages qui lui rendaient celui-ci très superflu. — D’ailleurs, je dois l’avouer, quel que soit le mérite de mon travail, mérite dont je ne suis point le juge, il est bien évident que celui de M. Pillon est le résultat de plus longues et plus mûres recherches que les miennes, et je suis persuadé que s’il remporte, ce sera justice sous tous les rapports.

Voilà donc un côté, chère amie, sous lequel les probabilités ne nous sont guère favorables. Mais il en est un autre qui ferait renaître en moi quelques espérances, si je pouvais m’habituer à ne pas regarder comme un phénomène impossible