Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/111

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contrarié, et la prédestination eût triomphé à sa manière en montrant le sujet qu’elle avait choisi absolument impuissant en dehors du travail pour lequel elle l’avait choisi. Toute application intellectuelle, j’y aurais réussi. Toute carrière ayant pour objet la recherche d’un intérêt quelconque, j’y aurais été nul, maladroit, au-dessous du médiocre.

Le trait caractéristique de la race bretonne, à tous ses degrés, est l’idéalisme, la poursuite d’une fin morale ou intellectuelle, souvent erronée, toujours désintéressée. Jamais race ne fut plus impropre à l’industrie, au commerce. On obtient tout d’elle par le sentiment de l’honneur ; ce qui est lucre lui paraît peu digne du galant homme : l’occupation noble est à ses yeux celle par laquelle on ne gagne rien, par exemple celle du soldat, celle du marin, celle du prêtre, celle du vrai gentilhomme qui ne tire de sa terre que le fruit convenu par l’usage sans chercher à l’augmenter, celle du magistrat, celle de l’homme voué au travail de la pensée. Au fond de la plupart de ses raisonnements, il y a cette opinion, fausse sans doute, que la