Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/128

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le cou, pour arborer le drapeau national. Quelques mois après, quand le drapeau contraire l’eut emporté, à la lettre il perdit la raison. Il sortit dans la rue avec une énorme cocarde tricolore. « Je voudrais bien savoir, dit-il, qui est-ce qui va venir m’arracher cette cocarde. » On l’aimait dans le quartier. « Personne, capitaine, personne, » lui répondit-on, et on le ramena doucement par le bras à la maison. Mon père partageait les mêmes sentiments. Il fit les campagnes de l’amiral Villaret-Joyeuse. Pris par les Anglais, il passa plusieurs années sur les pontons. Chaque année, sa jouissance était d’aller, le jour où l’on tirait au sort, humilier les recrues nouvelles de ses souvenirs de volontaire. Regardant d’un œil de mépris ceux qui mettaient la main dans l’urne : « Autrefois, disait-il, nous ne faisions pas ainsi. » Et il haussait ostensiblement les épaules sur la décadence des temps.

C’est par ce que j’ai vu de ces excellents marins et ce que j’ai lu et entendu des paysans de Lithuanie ou même de Pologne, que