Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/127

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plus dans la vie citadine ; il vint à Tréguier. Quand éclata la Révolution, il se montra patriote ardent, mais honnête. Il avait quelque argent ; tous ceux qui étaient dans la même situation que lui achetèrent des biens nationaux : quant à lui, il n’en voulut pas ; il trouvait ces biens mal acquis. Il n’estimait pas honorable de faire par surprise de grands gains n’impliquant aucun travail. Les événements de 1814 et 1815 le mirent hors de lui. Hegel n’avait pas encore découvert que le vainqueur a toujours raison, et, en tout cas, le bonhomme aurait eu peine à comprendre que c’était la France qui avait vaincu à Waterloo. Il me réservait le privilège de ces belles théories, dont je commence du reste à me dégoûter. Le soir du 19 mars 1815, il vint voir ma mère : « Demain matin, dit-il, lève-toi de bonne heure et regarde la tour. » Effectivement, pendant la nuit, le sacristain n’ayant pas voulu donner la clef de la tour, il avait escaladé, avec quelques autres patriotes, une forêt d’arcs-boutants et de clochetons, au risque de se rompre vingt fois