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toires moins vieillies, qu’il prenait dans les livres, mais qu’il accommodait au goût du pays.

» Nous avions alors une assez bonne bibliothèque. Quand vinrent les pères de la mission, sous Charles X, le prédicateur fit un si beau sermon contre les livres dangereux, que chacun brûla tout ce qu’il avait de volumes chez lui. Le missionnaire avait dit qu’il valait mieux en brûler plus que moins, et que d’ailleurs tous pouvaient être dangereux selon les circonstances. Je fis comme tout le monde ; mais ton père en jeta plusieurs sur le haut de la grande armoire. « Ceux-là sont trop jolis, » me dit-il. C’étaient Don Quichotte, Gil Blas, le Diable boiteux. Pierre les dénicha en cet endroit. Il les lisait aux gens du peuple et aux gens du port. Toute notre bibliothèque y a passé. De la sorte il mangea le peu qu’il avait, une petite aisance, et devint un pur vagabond ; ce qui ne l’empêchait pas d’être doux, excellent, incapable de faire du mal à une mouche.

― Mais pourquoi, dis-je, ses tuteurs ne