Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/137

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une des meilleures images de cette vieille société fondée sur Dieu et le roi, deux étais qu’il n’est pas sûr qu’on puisse remplacer.

Quand la Révolution éclata, ma bonne maman l’eut en horreur, et bientôt elle fut à la tête des pieuses personnes qui cachaient les prêtres insermentés. La messe se disait dans son salon. Les dames nobles étant dans l’émigration, elle regardait comme son devoir de les remplacer en cela. La plupart de mes oncles, au contraire, étaient grands patriotes. Quand il y avait des deuils publics, par exemple à propos de la trahison de Dumouriez, mes oncles laissaient croître leur barbe, sortaient avec des mines consternées, des cravates énormes et des vêtements en désordre. Ma bonne maman avait alors de fines railleries, qui n’étaient pas sans danger : « Ah ! mon pauvre Tanneguy, qu’avez-vous ? Quel malheur nous est survenu ? Est-ce qu’il est arrivé quelque chose à ma cousine Amélie ? Est-ce que l’asthme de ma tante Augustine va plus mal ? ― Non, ma cousine, la République est en danger. ― Ce n’est que cela ? Ah ! mon