Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/145

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L’interdiction de lui emprunter des livres était absolue. Le grenier de Système passait pour le réceptacle de toutes les impiétés.

Naturellement je partageais cette horreur, et c’est bien plus tard, quand mes idées philosophiques se furent assises, que je songeai que j’avais eu le bonheur dans mon enfance de voir un véritable sage. Ses idées, je les reconstruisis sans peine en rapprochant quelques mots qui m’avaient paru autrefois inintelligibles, et dont je me souvenais. Dieu était pour lui l’ordre de la nature, la raison intime des choses. Il ne souffrait pas qu’on le niât. Il aimait l’humanité comme représentant la raison, et haïssait la superstition comme la négation de la raison. Sans avoir le souffle poétique que le XIXe siècle a su ajouter à ces grandes vérités, Système, j’en suis sûr, vit très haut et très loin. Il était dans le vrai. Loin de méconnaître Dieu, il avait honte pour ceux qui s’imaginent le toucher. Perdu dans une paix profonde et une sincère humilité, il voyait les erreurs des hommes avec plus de pitié que de haine. Il était évident qu’il méprisait son siècle. La