Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/157

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qui n’a jamais enrichi personne, a-t-il pu faire un millionnaire ?

― Mon Dieu, Ernest, que tu es entêté ! Je t’ai déjà dit de ne pas me demander cela. Z… est le seul homme un peu comme il faut de notre entourage ; il a une belle position ; il est riche, estimé, on ne lui demande pas compte de la manière dont il a pu acquérir sa fortune.

― Dites-le moi tout de même.

― Eh bien, que veux-tu ? On ne devient pas riche sans se salir un peu. Il avait fait la traite des nègres… »

Un peuple noble, bon seulement pour servir des nobles, en harmonie d’idées avec eux, est, de notre temps, un peuple placé à l’antipode de ce qu’on appelle la saine économie politique et destiné à mourir de faim. Pour les délicats, retenus par une foule de points d’honneur, la concurrence est impossible avec de prosaïques lutteurs, bien décidés à ne se priver d’aucun avantage dans la bataille de la vie. C’est ce que je découvris bien vite, dès que je commençai à connaître un peu la