Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/156

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parmi les Bas-Bretons qui viennent à Saint-Malo demander aux plus sordides besognes de quoi ne pas mourir de faim. L’un d’eux désira me voir ; il était sous-aide balayeur. Il m’exposa en breton (il ne savait pas un mot de français) ses idées sur la fin de toute poésie et sur l’infériorité des nouvelles écoles. Il était partisan de l’ancien genre, de la complainte narrative, et il se mit à me chanter celle qu’il tenait pour la plus belle. Le sujet était la mort de Louis XVI. Il fondait en larmes. Arrivé au roulement de tambours de Santerre, il ne put aller plus loin. « S’il lui avait été permis de parler, me dit-il en se levant fièrement, le peuple se serait révolté. » Pauvre honnête homme !

En présence de pareils exemples, le cas de l’opulent Z… me devenait de plus en plus énigmatique. Quand je demandais à ma mère de me donner l’explication de cette singularité, elle répondait toujours d’une manière évasive, me parlait vaguement d’aventures dans les mers de Madagascar, refusait de répondre. Un jour, je la pressai plus vivement.

« Mais comment donc, lui dis-je, le cabotage,