Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/172

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m’apparaît souvent dans mes rêves, non comme un reproche, mais comme un doux souvenir, je ne vous ai pas été aussi infidèle que vous croyez. Oui, j’ai reconnu que votre histoire était insuffisante, que votre critique n’était pas née, que votre philosophie naturelle était tout à fait au-dessous de celle qui nous fait accepter comme un dogme fondamental : « Il n’y a pas de surnaturel particulier ; » néanmoins je suis toujours votre disciple. La vie n’a de prix que par le dévouement à la vérité et au bien. Ce bien, vous l’entendiez d’une manière un peu étroite. Cette vérité, vous la faisiez trop matérielle, trop concrète ; au fond, cependant, vous aviez raison, et je vous remercie d’avoir imprimé en moi comme une seconde nature ce principe, funeste à la réussite mondaine, mais fécond pour le bonheur, que le but d’une vie noble doit être une poursuite idéale et désintéressée.

Tout le milieu où je vivais m’inspirait les mêmes sentiments, la même façon de prendre la vie. Mes condisciples étaient pour la plupart de jeunes paysans des environs de Tréguier, vi-