Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/177

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Ce n’est pas que les instincts qui plus tard m’entraînèrent hors de ces sentiers paisibles n’existassent déjà en moi ; mais ils dormaient. Par ma race, j’étais partagé et comme écartelé entre des forces contraires. Il y avait, comme je l’ai dit, dans la famille de ma mère des éléments de sang basque et bordelais. Un gascon, sans que je le susse, jouait en moi des tours incroyables au breton et lui faisait des mines de singe… Ma famille elle-même était partagée. Mon père, mon grand-père paternel, mes oncles, n’étaient rien moins que cléricaux. Mais ma grand’mère maternelle était le centre d’une société où le royalisme ne se séparait pas de la religion. Dernièrement, en classant de vieux papiers, je trouvai une lettre d’elle qui m’a frappé. Elle est adressée à une excellente demoiselle Guyon, bonne vieille fille, qui me gâtait beaucoup quand j’étais enfant, et que rongeait alors un affreux cancer.