Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/210

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de Coutances, je crois, transporté comme moi, excellent cœur, s’isola, ne voulut rien voir, mourut. Les Savoisiens se montraient bien moins acclimatables encore. Un d’eux, plus âgé que moi, m’avouait que, chaque soir, il mesurait la hauteur du dortoir du troisième étage au-dessus du pavé de la rue Saint-Victor. Je tombai malade ; selon toutes les apparences, j’étais perdu. Le Breton qui est au fond de moi s’égarait en des mélancolies infinies. Le dernier Angelus du soir que j’avais entendu rouler sur nos chères collines et le dernier soleil que j’avais vu se coucher sur ces tranquilles campagnes me revenaient en mémoire comme des flèches aiguës.

Selon les règles ordinaires, j’aurais dû mourir ; j’aurais peut-être mieux fait. Deux amis que j’amenai avec moi de Bretagne, l’année suivante, donnèrent cette grande marque de fidélité : ils ne purent s’habituer à ce monde nouveau et repartirent. Je songe quelquefois qu’en moi le Breton mourut ; le Gascon, hélas ! eut des raisons suffisantes de vivre. Ce dernier s’aperçut même que ce monde nouveau