Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était fort curieux et valait la peine qu’on s’y attachât.

Au fond, celui qui me sauva fut celui qui m’avait mis à cette cruelle épreuve. Je dois deux choses à M. Dupanloup : de m’avoir fait venir à Paris et de m’avoir empêché de mourir en y arrivant. La vie sortait de lui ; il m’entraîna. Naturellement, il s’occupa d’abord peu de moi. L’homme le plus à la mode du clergé parisien, ayant une maison de deux cents élèves à diriger ou plutôt à fonder, ne pouvait avoir le souci personnel de l’enfant le plus obscur. Une circonstance singulière fut un lien entre nous. Le fond de ma blessure était le souvenir trop vivant de ma mère. Ayant toujours vécu seul auprès d’elle, je ne pouvais me détacher des images de la vie si douce que j’avais goûtée pendant des années. J’avais été heureux, j’avais été pauvre avec elle. Mille détails de cette pauvreté même, rendus plus touchants par l’absence, me creusaient le cœur. Pendant la nuit, je ne pensais qu’à elle ; je ne pouvais prendre aucun sommeil. Ma seule consolation était de lui écrire des lettres pleines