Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/219

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quoi il cessa de professer le cours de notre année ; il fut remplacé par un directeur, très occupé d’ailleurs, qui se contenta de nous lire d’anciens cahiers, auxquels il mêlait des extraits de livres modernes. Or, parmi ces volumes modernes, qui détonnaient souvent avec les vieilles routines des cahiers, j’en remarquai un qui produisait sur moi un effet singulier. Dès que le chargé de cours le prenait et se mettait à le lire, je n’étais plus capable de prendre une note ; une sorte d’harmonie me saisissait, m’enivrait. C’était Michelet, les parties admirables de Michelet, dans les tomes V et VI de l’Histoire de France. Ainsi le siècle pénétrait jusqu’à moi par toutes les fissures d’un ciment disjoint. J’étais venu à Paris formé moralement, mais ignorant autant qu’on peut l’être. J’eus tout à découvrir. J’appris avec étonnement qu’il y avait des laïques sérieux et savants ; je vis qu’il existait quelque chose en dehors de l’antiquité et de l’Église, et en particulier qu’il y avait une littérature contemporaine digne de quelque attention. La mort de Louis XIV ne