Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/229

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écoutions. Il y avait dans l’entretien quelque chose de grave et de profond. Il s’agissait du problème éternel qui fait le fond du christianisme, l’élection divine, le tremblement où toute âme doit rester jusqu’à la dernière heure en ce qui regarde le salut. Le saint prêtre insistait sur ce doute terrible : non, personne, absolument personne, n’est sûr qu’après les plus grandes faveurs du ciel il ne sera pas abandonné de la grâce. « Je crois, dit-il, avoir connu un prédestiné !… » Un silence se fit ; il hésita : « C’est H. de ***, ajouta-t-il ; si quelqu’un peut être sûr de son salut, c’est bien lui. Eh bien, non, il n’est pas sûr que H. de *** ne soit pas un réprouvé. »

Je revis H. de *** quelques années plus tard. Il avait fait dans l’intervalle de fortes études bibliques ; je ne pus savoir s’il était tout à fait détaché du christianisme ; mais il ne portait plus l’habit ecclésiastique et il était dans une vive réaction contre l’esprit clérical. Plus tard, je le trouvai passé à des idées politiques très exaltées ; la passion vive, qui faisait le fond de son caractère, s’était tournée