Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/230

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vers la démocratie ; il rêvait la justice, il en parlait d’une manière sombre et irritée ; il pensait à l’Amérique, et je crois qu’il doit y être. Il y a quelques années, un de nos anciens condisciples me dit qu’il avait cru reconnaître parmi les noms des fusillés de la Commune un nom qui ressemblait au sien. Je pense qu’il se trompait. Mais sûrement la vie de ce pauvre H. de *** a été traversée par quelque grand naufrage. Il gâta par la passion des qualités supérieures. C’est de beaucoup le sujet le plus éminent que j’aie eu pour condisciple dans mon éducation ecclésiastique. Mais il n’eut pas la sagesse de rester sobre en politique. À la façon dont il prenait les choses, il n’y aurait personne qui n’eût, dans sa vie, vingt occasions de se faire fusiller. Les idéalistes comme nous doivent n’approcher de ce feu-là qu’avec beaucoup de précautions. Nous y laisserions presque toujours notre tête ou nos ailes. Certes la tentation est grande pour le prêtre qui abandonne l’Église de se faire démocrate ; il retrouve ainsi l’absolu qu’il a quitté, des confrères, des amis : il ne fait en