Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/240

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qu’on ne lit plus guère hors de Saint-Sulpice, est un livre des plus extraordinaires, plein de poésie et de philosophie sombre, flottant sans cesse de Louis de Léon à Spinoza. Olier conçoit comme l’idéal de la vie du chrétien ce qu’il appelle « l’état de mort ».

Qu’est-ce que l’état de mort ? C’est un état où le cœur ne peut être ému en son fond, et, quoique le monde lui montre ses beautés, ses honneurs, ses richesses, c’est tout de même comme s’il les offrait à un mort, qui demeure sans mouvement et sans désirs, insensible à tout ce qui se présente… Le mort peut bien être agité au dehors et recevoir quelque mouvement dans son corps ; mais cette agitation est extérieure ; elle ne procède pas du dedans, qui est sans vie, sans vigueur et sans force, Ainsi une âme qui est morte intérieurement peut bien recevoir des attaques des choses extérieures et être ébranlée au dehors, mais au dedans de soi elle demeure morte et sans mouvement pour tout ce qui se présente.

Ce n’est pas assez dire. Olier imagine comme bien supérieur à l’état de mort l’état de sépulture.

Le mort a encore la figure du monde et de la chair ; l’homme mort paraît encore être une partie d’Adam ; encore parfois le remue-t-on ; il donne encore quelque agrément au monde ; mais de l’enseveli, on n’en dit plus