Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/241

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mot, il n’est plus dans le rang des hommes ; il est puant, il est en horreur ; il n’a plus rien qui agrée ; il est foulé aux pieds dans un cimetière, sans que l’on s’en étonne, tant le monde est convaincu qu’il n’est rien et qu’il n’est plus du nombre des hommes.

Les sombres rêves de Calvin sont presque de l’optimisme pélagien auprès des affreux cauchemars que le péché originel cause à notre pieux contemplatif.

Pourriez-vous encore ajouter quelque chose pour me faire concevoir comment la chair n’est que péché ? — Elle est tellement péché, qu’elle est toute inclination et mouvement au péché et même à tout péché ; en sorte que, si le Saint-Esprit ne retenait notre âme et ne l’assistait des secours de sa grâce, elle serait emportée par les inclinations de la chair, qui tendent toutes au péché.

— Mon Dieu ! qu’est-ce donc que la chair ? — C’est l’effet du péché, c’est le principe du péché…

— Si cela est, pourquoi ne tombez-vous pas à toute heure dans le péché ? — C’est la miséricorde de Dieu qui nous en empêche…

— Je suis donc obligé à Dieu de ce que je ne commets pas tous les péchés du monde ? — Oui… c’est le sentiment ordinaire des saints, parce que la chair est entraînée par un tel poids vers le péché que Dieu seul peut l’empêcher d’y tomber.

— Mais encore voudriez-vous bien m’en dire quelque chose ? — Ce que je puis vous en dire est qu’il n’y a aucune sorte de péché qui puisse se concevoir ; il n’y a