Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/242

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ni imperfection, ni désordre, il n’y a point d’erreur ni de dérèglement dont la chair ne soit remplie, tellement qu’il n’y a sorte de légèreté, ni de folie, ni de sottise que la chair ne soit capable de commettre à toute heure.

— Eh quoi ! je serais fou et je ferais le fou par les rues et par les compagnies sans le secours de Dieu ? — C’est peu que cela, qui ne regarde que l’honnêteté civile ; mais il faut que vous sachiez que, sans la grâce de Dieu, sans la vertu de son esprit, il n’y a aucune espèce d’impureté, de vilenie, d’infamie, d’ivrognerie, de blasphème, en un mot, il n’y a sorte de péché auquel l’homme ne s’abandonnât.

— La chair est donc bien corrompue ? — Vous le voyez.

— Je ne m’étonne plus si vous dites qu’il faut haïr sa chair, que l’on doit avoir horreur de soi-même, et que l’homme, dans son état actuel, doit être maudit, calomnié, persécuté ; non, je n’en suis plus surpris. En vérité, il n’y a aucune sorte de maux et de malheurs qui ne doivent tomber sur lui à cause de sa chair. — Vous avez raison ; toute la haine, toute la malédiction, la persécution qui tombent sur le démon, doivent tomber sur la chair et sur tous ses mouvements.

— Il n’y a donc aucune espèce d’injure qu’on ne doive supporter et qu’on ne doive croire vous être bien dues ? — Non.

— Les mépris, les injures, les calomnies ne doivent donc point nous troubler ? — Non. Il faut faire comme ce saint qui autrefois fut conduit au supplice pour un crime qu’il n’avait point commis et dont il ne voulut pas se justifier, disant en lui-même qu’il l’aurait commis, et de bien plus grands encore, si Dieu ne l’en eût empêché.