Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/270

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puisse imaginer d’un suicide par orthodoxie mystique. M. Gottofrey eût certainement été, s’il l’avait voulu, un mondain accompli. Je n’ai pas connu d’homme qui eût pu être plus aimé des femmes. Il portait en lui un trésor infini d’amour. Il sentait le don supérieur qui lui avait été départi ; puis, avec une sorte de fureur, il s’ingéniait à s’anéantir lui-même. On eût dit qu’il voyait Satan dans les grâces dont Dieu avait été pour lui si prodigue. Un vertige s’emparait de lui ; il se prenait de rage en se voyant si charmant ; il était comme une cellule de nacre où un petit génie pervers serait toujours occupé à broyer sa perle intérieure. Aux temps héroïques du christianisme, il eût cherché le martyre. À défaut du martyre, il courtisa si bien la mort, que cette froide fiancée, la seule qu’il ait aimée, finit par le prendre. Il partit pour le Canada. Le typhus, qui sévit à Montréal en 1847, lui offrit une belle occasion de contenter sa soif. Il soigna les malades avec frénésie et mourut.

J’ai toujours pensé qu’il y eut en la vie de M. Gottofrey un roman secret, quelque erreur