Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/296

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l’injure que le rationalisme fait à la foi. Il s’anima singulièrement, me reprocha mon goût pour l’étude. La recherche !… à quoi bon ? Tout ce qu’il y a d’essentiel est trouvé. Ce n’est point la science qui sauve les âmes. Et, s’exaltant peu à peu, il me dit avec un accent passionné : « Vous n’êtes pas chrétien ! »

Je n’ai jamais ressenti d’effroi comme celui que j’éprouvai à ce mot prononcé d’une voix vibrante. En sortant de chez M. Gottofrey, je chancelais ; ces mots : « Vous n’êtes pas chrétien ! » retentirent toute la nuit à mon oreille comme un coup de tonnerre. Le lendemain, je confiai mon angoisse à M. Gosselin. L’excellent homme me rassura : il ne vit rien, ne voulut rien voir. Il ne me dissimula même pas tout à fait combien il était surpris et mécontent de cette entreprise d’un zèle intempestif sur une conscience dont il était plus que personne responsable. Il tint, j’en suis sûr, l’acte illuminé de M. Gottofrey pour une imprudence, qui ne pouvait être bonne qu’à troubler une vocation naissante. Comme beaucoup de directeurs, M. Gosselin croyait que les