Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/354

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serais sûr de moi-même, serais-je sûr des circonstances qui s’imposent à nous si fatalement ? En vérité, j’en viens à regretter la misérable part de liberté que Dieu nous a donnée ; nous en avons assez pour lutter, pas assez pour dominer la destinée, tout juste ce qu’il faut pour souffrir.

Heureux les enfants qui ne font que dormir et rêver, et ne songent pas à s’engager dans cette lutte avec Dieu même ! Je vois autour de moi des hommes purs et simples, auxquels le christianisme suffit pour être vertueux et heureux. Ah ! que Dieu les préserve de jamais réveiller en eux une misérable faculté, cette critique fatale qui réclame si impérieusement satisfaction, et qui, après qu’elle est satisfaite, laisse dans l’âme si peu de douces jouissances ! Plût à Dieu qu’il dépendît de moi de la supprimer ! Je ne reculerais pas devant l’amputation si elle était licite et possible. Le christianisme suffit à toutes mes facultés, excepté une seule, la plus exigeante de toutes, parce qu’elle est de droit juge de toutes les autres. Ne serait-ce pas une contradiction de commander la conviction à la faculté qui crée la conviction ? Je sais bien que l’orthodoxe doit me dire que c’est par ma faute que je suis tombé en cet état. Je ne disputerai pas ; nul ne sait s’il est digne d’amour ou de haine. Volontiers donc je dirai : C’est ma faute ! pourvu que ceux qui m’aiment consentent à me plaindre et à me garder leur amitié.

Un résultat qui me semble maintenant acquis avec certitude, c’est que je ne reviendrai plus à l’orthodoxie, en continuant à suivre la ligne que j’ai suivie, je veux dire l’examen rationnel et critique. Jusqu’ici, j’espérais