Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/355

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qu’après avoir parcouru le cercle du doute, je reviendrais au point de départ ; j’ai totalement perdu cette espérance ; le retour au catholicisme ne me semble plus possible que par un recul, en rompant net la ligne où je me suis engagé, en stigmatisant ma raison, en la déclarant une fois pour toutes nulle et sans valeur, en la condamnant au silence respectueux. Chaque pas dans ma carrière critique m’éloigne de mon point de départ. Ai-je donc perdu toute espérance de revenir au catholicisme ? Ah ! cette pensée serait pour moi trop cruelle. Non, monsieur, je n’espère plus y revenir par le progrès rationnel ; mais j’ai été souvent assez près de me révolter à tout jamais contre un guide dont parfois je me défie. Quel serait alors le mobile de ma vie ? Je ne sais ; mais l’activité trouve partout son aliment. Croyez bien qu’il faut que j’aie été rudement éprouvé, pour m’être arrêté un instant à une pensée qui me paraît plus affreuse que la mort. Et pourtant, si ma conscience me la présentait comme licite, je la saisirais avec empressement, ne fût-ce que par pudeur humaine.

Au moins ceux qui me connaissent avoueront, j’espère, que ce n’est pas l’intérêt qui m’a éloigné du christianisme. Tous mes intérêts les plus chers ne devaient-ils pas m’engager à le trouver vrai ? Les considérations temporelles contre lesquelles j’ai à lutter eussent suffi pour en persuader bien d’autres ; mon cœur a besoin du christianisme ; l’Évangile sera toujours ma morale ; l’Église a fait mon éducation, je l’aime. Ah ! que ne puis-je continuer à me dire son fils ? Je la quitte malgré moi ; j’ai horreur de ces