Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/357

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même de vifs retours de dévotion. Tout cela ne peut coexister sans contradiction avec mon état général. Mais j’ai pris là-dessus franchement mon parti ; je me suis débarrassé du joug importun de la conséquence, au moins provisoirement. Dieu me condamnera-t-il pour avoir admis simultanément ce que réclament simultanément mes différentes facultés, quoique je ne puisse concilier leurs exigences contraires ? N’y a-t-il pas des époques dans l’histoire de l’esprit humain où la contradiction est nécessaire ? Du moment que l’examen s’applique aux vérités morales, il faut qu’on en doute, et pourtant, durant cette époque de transition, l’âme pure et noble doit encore être morale, grâce à une contradiction. C’est ainsi que je parviens par moments à être à la fois catholique et rationaliste ; mais prêtre, je ne puis l’être : on n’est pas prêtre par moments, on l’est toujours.

Les bornes d’une lettre m’obligent à terminer ici la longue confidence de mes luttes intérieures. Je bénis Dieu, qui me réservait de si pénibles épreuves, de m’avoir mis en rapports avec un esprit comme le vôtre, qui sait si bien les comprendre et à qui je peux les confier sans réserve.

M.*** fit à ma lettre une réponse pleine de cœur. Il n’y combattait plus que faiblement mon projet d’études libres. Ma sœur, dont la haute raison était, depuis des années, comme la colonne lumineuse qui marchait devant moi,