Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/358

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m’encourageait, du fond de la Pologne, par ses lettres pleines de droiture et de bon sens. Je pris ma résolution dans les derniers jours de septembre. Ce fut un acte de grande honnêteté ; c’est maintenant ma joie et mon assurance d’y penser. Mais quel déchirement ! De beaucoup, c’était ma mère qui me faisait le plus saigner le cœur. J’étais obligé de lui porter un coup de poignard, sans pouvoir lui donner la moindre explication. Quoique fort intelligente à sa manière, ma mère n’était pas assez instruite pour comprendre qu’on changeât de foi religieuse parce qu’on avait trouvé que les explications messianiques des psaumes sont fausses, et que Gesenius, dans son commentaire sur Isaïe, a raison sur presque tous les points contre les orthodoxes. Certes, il m’en coûtait aussi beaucoup de contrister mes anciens maîtres de Bretagne, qui continuaient d’avoir pour moi une si vive affection. La question critique, telle qu’elle était posée dans mon esprit, leur eût paru quelque chose d’inintelligible, tant leur foi était simple et absolue. Je partis donc pour Paris sans leur