Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/390

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apologétique, m’accordent si libéralement du talent, que je puis bien accepter un éloge qui dans leur bouche est une critique. Du moins n’ai-je jamais cherché à tirer parti de cette qualité inférieure, qui m’a plus nui comme savant qu’elle ne m’a servi par elle-même. Je n’y ai fait aucun fond. Jamais je n’ai compté sur mon prétendu talent pour vivre ; je ne l’ai nullement fait valoir. Ce pauvre Beulé, qui me regardait avec une sorte de curiosité affectueuse mêlée d’étonnement, ne revenait pas que j’en fisse si peu d’usage. J’ai toujours été le moins littéraire des hommes. Aux moments qui ont décidé de ma vie, je ne me doutais nullement que ma prose aurait le moindre succès.

Ce succès, je n’y ai point aidé. Qu’il me soit permis de le dire : il eût été plus grand si j’avais voulu. Je n’ai nullement cultivé ma veine ; je me suis plutôt appliqué à la dériver. Le public aime qu’on soit absolument ce que l’on est ; il veut qu’on ait sa spécialité ; il n’accorde jamais à un homme des maîtrises opposées. Si j’avais voulu faire un crescendo