Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/389

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abandons, où ma conscience littéraire hésite et où ma main tremble, des milliers me demandent de continuer.

Eh bien, malgré tout, et une fois l’indulgence obtenue pour les péchés véniels, oui, j’ai été modeste, et ce n’est pas sur ce point que j’ai manqué à mon programme de sulpicien obstiné. La vanité de l’homme de lettres n’est pas mon fait. Je ne partage pas l’erreur des jugements littéraires de notre temps. Je sais que jamais un vrai grand homme n’a pensé qu’il fût grand homme, et que, quand on broute sa gloire en herbe de son vivant, on ne la récolte pas en épis après sa mort. Je n’ai quelque temps fait cas de la littérature que pour complaire à M. Sainte-Beuve, qui avait sur moi beaucoup d’influence. Depuis qu’il est mort, je n’y tiens plus. Je vois très bien que le talent n’a de valeur que parce que le monde est enfantin. Si le public avait la tête assez forte, il se contenterait de la vérité. Ce qu’il aime, ce sont presque toujours des imperfections. Mes adversaires, pour me refuser d’autres qualités qui contrarient leur