Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/394

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En chemin de fer, combien y en a-t-il qui sentent que se presser sur le quai pour gagner les autres de vitesse et s’assurer de la meilleure place est une suprême grossièreté ?

En d’autres termes, nos machines démocratiques excluent l’homme poli. J’ai renoncé depuis longtemps à l’omnibus ; les conducteurs arrivaient à me prendre pour un voyageur sans sérieux. En chemin de fer, à moins que je n’aie la protection d’un chef de gare, j’ai toujours la dernière place. J’étais fait pour une société fondée sur le respect, où l’on est salué, classé, placé d’après son costume, où l’on n’a point à se protéger soi-même. Je ne suis à l’aise qu’à l’Institut et au Collège de France, parce que nos employés sont tous des hommes très bien élevés et nous témoignent une haute estime. L’habitude de l’Orient de ne marcher dans les rues que précédé d’un kavas me convenait assez ; car la modestie est relevée par l’appareil de la force. Il est bien d’avoir sous ses ordres un homme armé d’une courbache dont on l’empêche de se servir. Je serais assez aise d’avoir le droit de vie et de mort, pour