Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/418

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je ne suis pas seul quand je suis auprès de ma mère ; mais que de choses que ma tendresse pour elle me commande de lui taire, et qu’après tout elle ne pourrait comprendre !…

Nul fait important n’est venu avancer la solution du grand problème qui me préoccupe à si juste titre. Je n’ai rien appris, sinon l’énormité du sacrifice que Dieu allait exiger de moi. Mille circonstances désolantes que je ne soupçonnais pas sont venues compliquer ma situation et me prouver que le parti que ma conscience me conseillait ouvrait devant moi un abîme de peines. Il me faudrait de longs et pénibles détails pour vous les faire comprendre : qu’il vous suffise de savoir que les obstacles dont nous avons quelquefois causé ne sont rien en comparaison de ceux que j’ai vus tout à coup surgir devant moi. Mépriser une opinion qui sera bien sévère, traverser de longues années d’une vie pénible pour arriver à un but incertain, était déjà beaucoup, mais ne suffisait pas. Dieu me commande encore de percer de ma propre main un cœur sur lequel s’est déversée toute l’affection du mien. L’amour filial avait absorbé en moi toutes les autres affections dont j’étais capable et auxquelles Dieu ne m’a pas appelé ; et puis il y avait entre ma mère et moi des liens tout spéciaux tenant à mille circonstances délicates qu’on ne peut que sentir. Eh bien, c’est là que Dieu a placé mon sacrifice le plus pénible. Je ne lui ai parlé encore que de l’Allemagne, et cela a suffi pour la désoler. Ô mon Dieu ! que sera-ce ?… ses caresses me désolent ; ses beaux rêves, dont elle me parle sans cesse et que je n’ai pas le courage de