Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/420

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prend que par le cœur. Alors aussi j’étais chrétien et j’ai juré que je le serais toujours. Mais l’orthodoxie est-elle critique ? Ah ! si j’étais né protestant en Allemagne !… Là était ma place. Herder a bien été évêque, et certes il n’était que chrétien ; mais, dans le catholicisme, il faut être orthodoxe. C’est une barre de fer ; il n’entend pas raison.

Pardonnez-moi, mon ami, un souhait comme celui que je viens d’énoncer, et que je ne fais même pas en ma partie qui croit encore sans savoir pourquoi. Vous êtes obligé, pour être orthodoxe, de croire que je suis en cet état par ma faute ; cela est dur. Pourtant je suis bien disposé à croire qu’il y a beaucoup de ma faute. Celui qui connaît son cœur dira toujours : « Oui, oui ! » sitôt qu’on lui dira : « C’est ta faute. » Rien dans ma position ne m’est plus facile à admettre que cela. Je ne serai pas aussi tenace que Job sur le chapitre de mon innocence. Me croirais-je pur, je prierais seulement Dieu d’avoir pitié de moi. Cette lecture de Job me ravit ; j’y trouve tout mon cœur ; là est le divin de la poésie, j’entends la haute poésie. Elle vous fait toucher ces mystères qu’on sent en son propre cœur, et qu’on cherche péniblement à se formuler.

Je continue cependant avec courage l’avancement de ma pensée. Rien ne me fera abandonner cette œuvre, dussé-je être obligé de la sacrifier en apparence à l’acquisition de mon pain matériel. Dieu, pour me soutenir, m’avait réservé pour ce moment un vrai événement intellectuel et moral. J’ai étudié l’Allemagne et j’ai cru entrer dans un temple. Tout ce que j’y ai trouvé est pur,