Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/423

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pour son éducation cléricale, et le supplie de rester fidèle au catholicisme. Mais peut-il le servir plus sincèrement qu’en se vouant à ce qu’il croit la vérité ?

Ami, pardonnez-moi ce que je viens de vous dire. Ah ! si vous connaissiez ma tête et mon cœur ! Ne croyez pas que tout cela ait en moi une consistance dogmatique ; non, je n’exclus rien. J’admets des contradictoires, au moins provisoirement. Eh ! n’y a-t-il pas des états où il faut de force que l’individu et l’humanité posent sur l’instable. On n’y peut tenir, direz-vous, c’est une souffrance. Oui, mais qu’y faire ? Il faut passer par là. Il a été nécessaire qu’à une époque on fût scientifiquement sceptique sur la morale, et pourtant, à cette époque, les hommes purs étaient et pouvaient être moraux, moyennant une contradiction. Les scolastiques se moqueraient de cela et triompheraient à montrer là un défaut de logique. En vérité, beau triomphe de montrer ce qui est clair ! Ils veulent un état moral où tout soit rigoureusement formulé, et ils se contenteront d’un fond misérable, pourvu qu’on leur accorde cette forme à laquelle ils tiennent tant. Ils ne connaissent ni l’homme ni l’humanité tels qu’ils existent de fait.

Oui, mon ami, je crois encore : je prie, je dis le Pater avec délices. J’aime beaucoup à être dans les églises ; la piété pure, simple, naïve me touche beaucoup dans mes moments lucides, quand je sens l’odeur de Dieu ; j’ai même des accès de dévotion, j’en aurai toujours, je crois ; car la piété a une valeur, ne fût-elle que psychologique. Elle nous moralise délicieusement et