Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/438

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c’est d’avoir avec eux quelques-uns de ces rapports qui rappellent qu’on n’est pas seul au monde. Quelquefois, quand l’occasion m’engage dans ces foules indifférentes qui remplissent nos rues, je me figure au milieu d’une forêt d’arbres qui marcheraient. C’est absolument la même chose. Quand je songe au bonheur si pur dont je jouissais autrefois, à pareille époque, je suis pris d’une grande tristesse, surtout quand je songe que j’ai dit à ces jours un adieu éternel. Je ne sais si vous êtes comme moi ; mais il n’y a rien qui me pèse plus que de dire, même pour les choses les plus indifférentes : « C’est fini, absolument fini pour toujours ! » Jugez donc quand il s’agit des jouissances les seules chères à mon cœur. Mais qu’y faire, mon ami ? Je ne me repens de rien, et il a à souffrir pour son devoir une joie bien supérieure à toutes celles dont on a pu faire le sacrifice. Je bénis Dieu, mon cher, de m’avoir donné en vous quelqu’un qui sait si bien me deviner que je n’ai pas besoin de lui exposer l’état de mon cœur ; oui, c’est une de mes plus grandes peines que de songer que les personnes dont l’approbation me serait la plus chère doivent me blâmer et me trouver coupable. Heureusement que cela ne doit pas les empêcher de me plaindre et de m’aimer.

Je ne suis pas, mon cher, de ceux qui prêchent sans cesse la tolérance aux orthodoxes ; c’est là pour les esprits superficiels de l’un et de l’autre parti la cause d’innombrables sophismes. C’est faire tort au catholicisme que de l’accommoder ainsi à nos idées modernes, outre qu’on ne le fait que par des concessions verbales