Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/310

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de ces éléments d’utopie comme il s’en mêle toujours aux grandes fondations, et dont le temps fait justice. Transporté dans le large milieu de la société humaine, le christianisme devait un jour très-facilement consentir à posséder des riches dans son sein, de même que le bouddhisme, exclusivement monacal à son origine, en vint, aussitôt que les conversions se multiplièrent, à compter des laïques. Mais on garde toujours la marque de ses origines. Bien que vite dépassé et oublié, l’ébionisme laissa dans toute l’histoire des institutions chrétiennes un levain qui ne se perdit pas. La collection des Logia ou discours de Jésus se forma ou du moins se compléta dans les Églises ébionites de la Batanée[1]. La « pauvreté » resta un idéal dont la vraie lignée de Jésus ne se détacha plus. Ne rien posséder fut le véritable état évangélique ; la mendicité devint une vertu, un état saint. Le grand mouvement ombrien du xiiie siècle, qui est, entre tous les essais de fondation religieuse, celui qui ressemble le plus au mouvement galiléen, se fit tout entier au nom de la pauvreté. François d’Assise, l’homme du monde qui, par son exquise bonté, sa communion délicate, fine et tendre avec la vie universelle, a le plus ressemblé à Jésus, fut

  1. Épiph., Adv. hær., xix, xxix et xxx, surtout xxix, 9.