Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/37

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le récit de la révélation secrète qu’elle fit au roi Charles VII a quelque réalité, ce qu’il est difficile de nier, il faut que cette innocente fille ait présenté comme l’effet d’une intuition surnaturelle ce qu’elle avait appris par confidence. Un exposé d’histoire religieuse n’ouvrant pas quelque jour oblique sur des suppositions de ce genre est par cela même argué de n’être pas complet.

Toute circonstance vraie ou probable ou possible devait donc avoir sa place dans ma narration, avec sa nuance de probabilité. Dans une telle histoire, il fallait dire non-seulement ce qui a eu lieu, mais encore ce qui a pu vraisemblablement avoir lieu. L’impartialité avec laquelle je traitais mon sujet m’interdisait de me refuser une conjecture, même choquante ; car sans doute il y a eu beaucoup de choquant dans la façon dont les choses se sont passées. J’ai appliqué d’un bout à l’autre le même procédé d’une manière inflexible. J’ai dit les bonnes impressions que les textes me suggéraient ; je ne devais pas taire les mauvaises. J’ai voulu que mon livre gardât sa valeur, même le jour où l’on arriverait à regarder un certain degré de fraude comme un élément inséparable de l’histoire religieuse. Il fallait faire mon héros beau et charmant (car sans contredit il le fut) ; et cela, malgré des actes qui, de nos jours, seraient qualifiés d’une manière défavorable. On m’a loué d’avoir cherché à construire un récit vivant, humain, possible. Mon récit aurait-il mérité ces éloges, s’il avait présenté les origines du christianisme comme absolument immaculées ? C’eût été admettre le plus grand des miracles. Ce qui fût résulté de là eût été un tableau de la dernière froideur. Je ne dis pas qu’à défaut de taches, j’eusse dû en inventer. Au moins, devais-je laisser chaque texte produire sa note suave ou discordante. Si Gœthe vivait,