Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/379

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les hypostases chrétiennes, toute cette mythologie sèche, consistant en abstractions personnifiées, à laquelle le monothéisme est obligé de recourir, quand il veut introduire en Dieu la multiplicité.

Jésus paraît être resté étranger à ces raffinements de théologie, qui devaient bientôt remplir le monde de disputes stériles. La théorie métaphysique du Verbe, telle qu’on la trouve dans les écrits de son contemporain Philon, dans les Targums chaldéens, et déjà dans le livre de la « Sagesse »[1], ne se laisse entrevoir ni dans les Logia de Matthieu, ni en général dans les synoptiques, interprètes si authentiques des paroles de Jésus. La doctrine du Verbe, en effet, n’avait rien de commun avec le messianisme. Le Verbe de Philon et des Targums n’est nullement le Messie. C’est plus tard que l’on identifia Jésus avec le Verbe, et que l’on créa, en partant de ce principe, toute une nouvelle théologie, fort différente de celle du royaume de Dieu[2]. Le rôle

  1. Sap., ix, 1-2 ; xvi, 12. Comp. vii, 12 ; viii, 5 et suiv. ; ix, et en général ix-xi. Ces prosopopées de la Sagesse personnifiée se trouvent même dans des livres plus anciens. Prov., viii, ix ; Job, xxviii.
  2. Apoc., xix, 13 ; Jean, i, 1-14. On remarquera, du reste, que, même dans le quatrième Évangile, l’expression de « Verbe » ne revient pas hors du prologue, et que jamais le narrateur ne la place dans la bouche de Jésus.