Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/592

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s’éloignant de plus en plus du judaïsme. Son perfectionnement consistera à revenir à Jésus, mais non certes à revenir au judaïsme. La grande originalité du fondateur reste donc entière ; sa gloire n’admet aucun légitime partageant.

Sans contredit, les circonstances furent pour beaucoup dans le succès de cette révolution merveilleuse ; mais les circonstances ne secondent que les tentatives justes et bonnes. Chaque branche du développement de l’humanité, art, poésie, religion, rencontre, en traversant les âges, une époque privilégiée, où elle atteint la perfection sans effort et en vertu d’une sorte d’instinct spontané. Aucun travail de réflexion ne réussit à produire ensuite les chefs-d’œuvre que la nature crée à ces moments-là par des génies inspirés. Ce que les beaux siècles de la Grèce furent pour les arts et les lettres profanes, le siècle de Jésus le fut pour la religion. La société juive offrait l’état intellectuel et moral le plus extraordinaire que l’espèce humaine ait jamais traversé. C’était une de ces heures divines où les grandes choses se produisent d’elles-mêmes par la conspiration de mille forces cachées, où les belles âmes trouvent pour les soutenir un flot d’admiration et de sympathie. Le monde, délivré de la tyrannie fort étroite des petites républiques municipales, jouissait d’une grande liberté. Le despotisme