Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/593

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romain ne se fit sentir d’une façon désastreuse que beaucoup plus tard, et d’ailleurs il fut toujours moins pesant dans les provinces éloignées qu’au centre de l’empire. Nos petites tracasseries préventives, bien plus meurtrières que les supplices pour les choses de l’esprit, n’existaient pas. Jésus, pendant trois ans, put mener une vie qui, dans nos sociétés, l’eût conduit vingt fois devant les tribunaux. Les lois en vigueur de nos jours sur l’exercice illégal de la médecine eussent suffi pour lui fermer la carrière. D’un autre côté, la dynastie, d’abord incrédule, des Hérodes s’occupait peu alors des mouvements religieux ; sous les Asmonéens, Jésus eût été probablement arrêté dès ses premiers pas. Un novateur, dans un tel état de société, ne risquait que la mort, et la mort est bonne à ceux qui travaillent pour l’avenir. Qu’on se figure Jésus, réduit à porter jusqu’à soixante ou soixante et dix ans le fardeau de sa divinité, perdant sa flamme céleste, s’usant peu à peu sous les nécessités d’un rôle inouï ! Tout favorise ceux qui sont marqués d’un signe ; ils vont à la gloire par une sorte d’entraînement invincible et d’ordre fatal.

Cette sublime personne, qui chaque jour préside encore au destin du monde, il est permis de l’appeler divine, non en ce sens que Jésus ait absorbé tout le divin, ou lui ait été identique, mais en ce sens que