Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/601

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Chaque retard que Jésus mettait à venir était un pas de plus vers sa divinisation ; et cela est si vrai que c’est juste à l’heure où le dernier rêve millénaire disparaît que la divinité de Jésus se proclame d’une manière absolue.

§ 2. Revenons à notre texte. Selon l’usage consacré, l’évangéliste commence son récit par la mission de Jean-Baptiste. Ce qu’il dit des rapports de Jean avec Jésus est parallèle sur beaucoup de points à la tradition des synoptiques ; sur d’autres points, la divergence est considérable. Ici encore, l’avantage n’est pas en faveur du texte que nous examinons. La théorie, bientôt chère à tous les chrétiens, d’après laquelle Jean proclama le rôle divin de Jésus, est tout à fait exagérée par notre auteur. Les choses sont plus ménagées dans les synoptiques, où Jean conserve jusqu’à la fin des doutes sur le caractère de Jésus et lui envoie une ambassade pour le questionner[1]. Le récit du quatrième Évangile implique un parti pris tout à fait tranché, et nous confirme dans l’idée que nous avait inspirée le prologue, à savoir, que l’auteur vise à prouver plutôt qu’à raconter. Nous découvrons cependant, dès à présent, que l’auteur, tout en différant beaucoup des synoptiques, possède en commun avec eux plusieurs traditions. Il cite les mêmes prophéties ; il croit comme eux à une colombe qui serait descendue sur la tête de Jésus sortant du baptême. Mais son récit est moins naïf, plus avancé, plus mûr, si j’ose le dire. Un seul trait m’arrête, c’est le v. 28, fixant les lieux avec précision. Mettons que la désignation Bethania soit inexacte (on ne connaît pas de Béthanie dans ces parages, et les interprètes grecs y ont fort arbitrairement substitué Béthabara), qu’importe ? Un théologien n’ayant rien de juif,

  1. Matth., xi, 2 et suiv. ; Luc, vii, 19 et suiv.