Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/608

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semble ici avoir une secrète harmonie avec notre écrivain, ou plutôt flotter entre deux systèmes opposés[1]. Cela est très-important ; car nous relèverons bientôt d’autres circonstances où Luc côtoie l’auteur du quatrième Évangile et semble avoir eu connaissance des mêmes traditions.

Mais voici qui est bien frappant. La première circonstance des séjours à Jérusalem rapportée par notre Évangile est aussi rapportée par les synoptiques et placée par eux presque à la veille de la mort de Jésus. C’est la circonstance des vendeurs chassés du temple. Est-ce à un Galiléen, au lendemain de son arrivée à Jérusalem, qu’on peut attribuer avec vraisemblance un tel acte, qui pourtant dut avoir quelque réalité, puisqu’il est rapporté par les quatre textes ? Dans l’agencement chronologique du récit, l’avantage appartient tout entier à notre auteur. Il est évident que les synoptiques ont accumulé sur les derniers jours des circonstances que leur fournissait la tradition et qu’ils ne savaient pas où placer.

Maintenant, se pose une question qu’il est temps d’éclaircir. Déjà nous avons trouvé notre évangéliste possédant beaucoup de traditions en commun avec les synoptiques (le rôle de Jean-Baptiste, la colombe du baptême, l’étymologie du nom de Céphas, les noms de trois au moins des apôtres, les vendeurs chassés). Notre évangéliste puise-t-il cela dans les synoptiques ? Non, puisque sur ces circonstances mêmes il présente avec eux des différences importantes. D’où lui viennent donc ces récits communs ? De la tradition évidemment, ou de ses souvenirs. Mais que veut dire cela, sinon que l’auteur nous a légué une version originale de la vie de Jésus, que cette vie doit être mise tout d’abord sur

  1. ix, 51 et suiv. ; x, 25 et suiv., 38 et suiv. ; xvii, 11.