Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/618

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racle se retrouve chez les synoptiques[1]. Nous sommes donc encore ici dans la tradition et nullement dans la fantaisie individuelle. Le v. 23 fixe les lieux, établit un rapport entre ce miracle et celui de la multiplication des pains, et semble prouver que ces récits miraculeux doivent être mis dans la classe des miracles qui ont une base historique. Le prodige que nous discutons en ce moment correspond probablement à quelque hallucination que les compagnons de Jésus eurent sur le lac, et en vertu de laquelle ils crurent, dans un moment de danger, voir leur maître venir à leur secours. L’idée à laquelle on se laissait aller, que son corps était léger comme un esprit[2], donnait créance à cela. Nous retrouverons bientôt (ch. xxi) une autre tradition fondée sur des imaginations analogues.

§ 16. Les deux miracles qui précèdent servent à amener une prédication des plus importantes, que Jésus est censé avoir faite dans la synagogue de Capharnahum. Cette prédication se rapporte évidemment à un ensemble de symboles très-familiers à la plus antique communauté chrétienne, symboles où le Christ était présenté comme le pain du croyant. J’ai déjà dit que les discours du Christ dans notre Évangile sont presque tous des ouvrages artificiels, et celui-ci peut certes être du nombre. Je reconnaîtrai, si l’on veut, que ce morceau a plus d’importance pour l’histoire des idées eucharistiques au ier siècle que pour l’exposé même des idées de Jésus. Cependant, cette fois encore, je crois, notre Évangile nous fournit un trait de lumière. Selon les synoptiques, l’institution de l’eucharistie ne remonterait pas au delà de la dernière soirée de Jésus. Il est clair que très-anciennement

  1. Matth., xiv, 22 et suiv. ; Marc, vi, 45 et suiv.
  2. Ce fut l’origine du docétisme, hérésie contemporaine des apôtres.