Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/630

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miracles de la seconde classe, dans ceux qui ont pour origine un fait réel de la vie de Jésus, ne se mêla-t-il pas quelquefois un peu de complaisance ? Je le crois, ou du moins je déclare que, s’il n’en fut pas ainsi, le christianisme naissant a été un événement absolument sans analogue. Cet événement a été le plus grand et le plus beau des faits du même genre ; mais il n’a pas échappé aux lois communes qui régissent les faits de l’histoire religieuse. Pas une seule grande création religieuse qui n’ait impliqué un peu de ce qu’on appellerait maintenant fraude. Les religions anciennes en étaient pleines[1]. Peu d’institutions dans le passé ont droit à plus de reconnaissance de notre part que l’oracle de Delphes, puisque cet oracle a éminemment contribué à sauver la Grèce, mère de toute science et de tout art. Le patriotisme éclairé de la Pythie ne fut pris qu’une ou deux fois en faute. Toujours elle fut l’organe des sages doués du sentiment le plus juste de l’intérêt grec. Ces sages, qui ont fondé la civilisation, ne se firent jamais scrupule de conseiller cette vierge censée inspirée des dieux. Moïse, si les traditions que nous avons sur son compte ont quelque chose d’historique, fit servir des événements naturels, tels que des orages, des fléaux fortuits, à ses desseins et à sa politique[2]. Tous les anciens législateurs donnèrent leurs lois comme inspirées par un dieu. Tous les prophètes, sans aucun scrupule, se firent dicter par l’Éternel leurs sublimes invectives. Le bouddhisme, plein d’un si haut sentiment re-

  1. On en a la preuve matérielle au temple d’Isis à Pompéi, à l’Erechthéum d’Athènes, etc.
  2. La reprise et en quelque sorte la seconde fondation du wahhabisme dans l’Arabie centrale eut pour cause le choléra de 1855, habilement exploité par les zélateurs. Palgrave, Narrative of a joumey throught Arabia, t. I, p. 407 et suiv.