Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/631

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ligieux, vit de miracles permanents, qui ne peuvent se produire d’eux-mêmes. Le pays le plus naïf de l’Europe, le Tyrol, est le pays des stigmatisées, dont la vogue n’est possible qu’avec un peu de compérage. L’histoire de l’Église, si respectable à sa manière, est pleine de fausses reliques, de faux miracles. Y a-t-il eu un mouvement religieux plus naïf que celui de saint François d’Assise ? Et cependant toute l’histoire des stigmates est inexplicable sans quelque connivence de la part des compagnons intimes du saint[1].

« On ne prépare pas, me dit-on, de miracles frelatés, quand on croit en voir partout de vrais. » Erreur ! c’est quand on croit aux miracles, qu’on est entraîné sans s’en douter à en augmenter le nombre. Nous pouvons difficilement nous figurer, avec nos consciences nettes et précises, les bizarres illusions par lesquelles ces consciences obscures, mais puissantes, jouant avec le surnaturel, si j’ose le dire, glissaient sans cesse de la crédulité à la complaisance et de la complaisance à la crédulité. Quoi de plus frappant que la manie répandue à certaines époques d’attribuer aux anciens sages des livres apocryphes ? Les apocryphes de l’Ancien Testament, les écrits du cycle hermétique, les innombrables productions pseudépigraphes de l’Inde répondent à une grande élévation de sentiments religieux. On croyait faire honneur aux vieux sages en leur attribuant ces productions ; on se faisait leur collaborateur, sans songer qu’un jour viendrait où cela s’appellerait une fraude. Les auteurs de légendes du moyen âge, grossissant à froid sur leurs pupitres les miracles de leur saint, seraient aussi fort surpris de s’entendre appeler imposteurs.

  1. K. Hase, Franz von Assisi, ch. xiii et l’appendice (trad. de M. Charles Berthoud, p. 125 et suiv., 149 et suiv.).