Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/640

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contradictoire. Jésus, chez les synoptiques, est censé désigner le traître à mots couverts, et cependant les expressions dont il se sert devaient le faire reconnaître de tous. Notre quatrième évangéliste explique bien ce petit malentendu. Jésus, selon lui, fait tout bas la confidence de son pressentiment à un disciple qui reposait sur son sein, lequel communique à Pierre ce que Jésus lui a dit. À l’égard du reste des assistants, Jésus reste dans le mystère, et personne ne se doute de ce qui s’est passé entre lui et Judas. Les petites circonstances du récit, le pain trempé, le coup d’œil que le v. 29 nous fait jeter dans l’intérieur de la secte, ont aussi une grande justesse, et quand on voit l’auteur dire assez clairement : « J’étais là, » on est tenté de croire qu’il dit vrai. L’allégorie est essentiellement froide et raide. Les personnages y sont d’airain, et se meuvent tout d’une pièce. Il n’en est pas de même chez notre auteur. Ce qui frappe dans son écrit, c’est la vie, c’est la réalité. On sent un homme passionné, jaloux parce qu’il aime beaucoup, susceptible, un homme fort ressemblant aux Orientaux de nos jours. Les compositions artificielles n’ont jamais ce tour personnel ; quelque chose de vague et de gauche les décèle toujours.

§ 29. Suivent de longs discours, qui ont leur beauté, mais qui sans contredit n’ont rien de traditionnel. Ce sont des pièces de théologie et de rhétorique, sans aucune analogie avec les discours de Jésus dans les Évangiles synoptiques, et auxquels il ne faut pas plus attribuer de réalité historique qu’aux discours que Platon met dans la bouche de son maître au moment de mourir. Il ne faut rien conclure de là sur la valeur du contexte. Les discours insérés par Salluste et Tite-Live dans leurs histoires sont sûrement des fictions ; en conclura-t-on que le fond de ces histoires est