Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/97

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leur nom grec, corrige parfois maladroitement les paroles de Jésus[1]. On sent l’écrivain qui compile, l’homme qui n’a pas vu directement les témoins, qui travaille sur les textes, et se permet de fortes violences pour les mettre d’accord. Luc avait probablement sous les yeux le récit primitif de Marc et les Logia de Matthieu. Mais il les traite avec beaucoup de liberté ; tantôt il fond ensemble deux anecdotes ou deux paraboles pour en faire une[2] ; tantôt il en décompose une pour en faire deux[3]. Il interprète les documents selon son esprit propre ; il n’a pas l’impassibilité absolue de Matthieu et de Marc. On peut dire certaines choses de ses goûts et de ses tendances particulières : c’est un dévot très-exact[4] ; il tient à ce que Jésus ait accompli tous les rites juifs[5] ; il est démocrate et

  1. Par exemple, ἔργων (Matth., xi, 19) devient chez lui τέκνων (Luc, vii, 35), leçon qui, par une sorte d’effet rétroactif, s’est introduite dans la plupart des manuscrits de Matthieu.
  2. Par exemple, xix, 12-27, où la parabole des talents est compliquée (versets 12, 14, 15, 27) d’une parabole relative à des sujets rebelles. La parabole du riche (xvi) contient aussi des traits qui se rattachent médiocrement au sujet principal (les ulcères, les chiens, et les versets 23 et suiv.)
  3. Ainsi, le repas de Béthanie lui donne deux récits (vii, 36-48, et x, 38-42). Il fait de même pour les discours. Ainsi Matth., xxiii, et se retrouve dans Luc, xi, 39 et suiv., xx, 46-47.
  4. xxiii, 56 ; xxiv, 53 : Act., i, 12.
  5. ii, 21, 22, 39, 41, 42. C’est un trait ébionite. Cf. Philosophumena, VII, vi, 34.